Sainte RADEGONDE
reine des Francs 
 

26/08- 13/08
 


 
 
Fille du roi Berthaire, un des trois souverains qui se partageaient le royaume de Thuringe, Sainte Radegonde naquit vers 518 à Erfurt. A la suite du meurtre de son père et à cause de l'occupation du royaume par son oncle Hermenefred, elle fut élevée à la cour de ce dernier. Les rois francs, Thierry et Clotaire, fils de Clovis, ayant été sollicités par Hennenefred pour mater une révolte fomentée par son frère, envahirent la Thuringe et se partagèrent, avec leur butin, les membres de la famille royale. La jeune Radegonde échut à Clotaire, roi de Soissons, tristement célèbre pour sa vie de débauche, qui avait formé le projet de la prendre pour épouse une fois son éducation achevée.

Elle reçut une formation littéraire de haute qualité, rare en ce temps, surtout pour les femmes, dans la villa royale d'Athies en Vermandois. Encore enfant, elle menait une vie de prière et avait coutume de rassembler tous les enfants pauvres, et après les avoir fait laver, elle les servait à sa table puis les emmenait en procession à l'oratoire. Au bout de cinq ans, Clotaire devenu veuf manda la belle captive à sa cour. Épouvantée, Radegonde s'échappa, mais elle fut bientôt rattrapée et aussitôt conduite à Soissons où l'on célébra le mariage. Soumise à la divine Providence, elle remplit avec dévouement ses devoirs d'épouse et de reine, sans être pour autant séparée du Roi du ciel: « Son partage était le Christ bien plus que le mariage humain » écrit son biographe. 
Elle consacrait à l'aumône le plus clair de son temps, cédant ses parures aux Eglises et Monastères, et distribuant jusqu'à ses vêtements aux nécessiteux. Elle voyait en effet le Christ dans les mendiants dont elle couvrait les membres et regardait comme perdu pour elle tout bien qu'elle n'avait pas donné. Dans la ville d'Athies, que le roi lui avait concédée, elle fonda un hôpital, où elle servait elle-même les pauvres et les affligés. A la cour, elle portait un rude cilice sous ses vêtements royaux. Et quand elle prenait part à des banquets, elle s'y faisait servir un plat de fèves ou de lentilles, et dès que venait l'heure de l'Office Divin, elle trouvait un prétexte pour quitter la table. 
La nuit, elle délaissait la couche royale pour passer de longues heures en prière, prosternée sur le sol dans son oratoire; aussi disait-on au roi: « C'est une nonne et non pas une reine que tu as épousée! » Clotaire s'irritait de cette conduite et couvrait son épouse de reproches; mais impressionné par le rayonnement de sa sainteté, il essayait ensuite de réparer ses affronts par des présents ou en lui accordant la grâce de condamnés à mort. Quand le roi était absent, "la reine se tenait alors attachée aux pieds du Christ, dont elle sentait la présence, et comme si elle se fût saturée de délices, elle se tenait en prière, savourant ses longs jeunes au milieu des larmes". Quand elle apprenait le passage d'un homme de Dieu, elle se rendait à son domicile avec quelques suivantes, et passait des journées entières à l'écouter parler sur les moyens de parvenir à la vie éternelle.`

Le frère de la reine, impliqué dans un mouvement de sédition en Thuringe, ayant été exécuté sur ordre de Clotaire (555), Sainte Radegonde en conçut un intolérable chagrin et, ne pouvant continuer à mener la vie conjugale avec le meurtrier de son frère, elle obtint de Clotaire son consentement pour se consacrer entièrement à Dieu. Comme elle s'était adressée à Saint Médard, Evêque de Noyon, le Saint Evêque, d'abord hésitant, se vit repoussé de l'Autel par les leudes qui voulaient empêcher la reine de prendre le voile. Radegonde se réfugia alors dans la sacristie où elle revêtit un habit de moniale, et reparaissant devant l'Evêque, elle lui dit: « Si tu hésites à me consacrer, et si tu crains un homme plus que Dieu, sache, pasteur, qu'il te sera demandé compte de l'âme de ta brebis. » Saint Médard lui imposa donc les mains pour la consacrer diaconesse1. Aussitôt après avoir distribué ses biens, la Sainte partit pour Tours afin d'y vénérer le tombeau de Saint Martin. Elle y fonda un Monastère d'hommes, puis alla se retirer dans sa villa de Saix, avec un petit groupe de suivantes devenues ses disciples

Depuis le jour de sa consécration jusqu'à sa mort, Radegonde ne mangea plus que des légumes crus et des fruits. Pendant le Carême, elle broyait elle-même, tous les quatre jours, avec une meule de pierre, le grain qui lui servait de nourriture, après en avoir prélevé des offrandes pour les sanctuaires voisins. D'humeur toujours égale, dans la joie comme dans l'adversité, la reine se faisait la servante de tous, en particulier des mendiants et des affligés qu'elle recevait quotidiennement à sa table et qu'elle lavait de ses mains. Et quand des lépreux se présentaient, elle les recevait à part et sans témoin, leur lavait le visage, qu'elle embrassait avec amour, et prenait soin de leurs plaies purulentes, puis elle les renvoyait avec des présents. Alors qu'elle menait cette conduite agréable à Dieu, elle eut un jour une vision au cours de laquelle l'Église du Christ lui dit: « Jusquíà présent tu demeurais sur mes genoux, désormais tu auras ta place dans mon cúur ».

Comme la rumeur était parvenue à Saix que Clotaire s'était mis en route pour reprendre son épouse, Radegonde redoubla de jeûnes et de prières, et elle sollicita l'intercession du reclus Jean de Chinon, qui lui fit répondre que Dieu ne permettrait pas au roi de réaliser son projet. Ayant échappé à ce danger, la Sainte décida de fonder un Monastère qui la garderait de toute nouvelle tentative du roi et permettrait une meilleure organisation, à la lumière des traditions des Saints Pères. Elle décida de l'établir à Poitiers, sous la protection de Saint Hilaire. Clotaire accorda son autorisation, et pourvut même aux frais de la construction et à l'entretien de la communauté. L'édifice put ainsi être rapidement achevé, et Sainte Radegonde s'y installa avec sa communauté qui, à la fin de sa vie, allait comporter environ deux cents religieuses, issues pour la plupart des plus nobles familles du royaume. Fondatrice, mère spirituelle et modèle de vertu pour la communauté, Radegonde refusa cependant par humilité d'en être la supérieure, et elle confia cette responsabilité à Agnès, sa plus proche disciple et compagne depuis l'enfance. 
Apprenant que Clotaire avait de nouveau l'intention de la reprendre à l'occasion d'un pèlerinage à Tours, elle sollicita la protection de Saint Germain, Evêque de Paris, qui accompagnait le souverain. L'Evêque se jeta aux pieds de Clotaire, devant le tombeau de Saint Martin, et celui-ci céda. Germain alla porter en personne la nouvelle à Poitiers, et il consacra Agnès abbesse. 
Libre désormais de suivre le Christ qu'elle aimait, Radegonde s'élança de toute son âme à sa suite, sans être distraite par les tâches matérielles. Soucieuse cependant de donner à sa fondation une règle assurant la pérennité de la vie cénobitique, elle alla passer, accompagnée d'Agnès, plusieurs mois à Arles, dans le Monastère fondé par Saint Césaire, dont la règle constituait une judicieuse adaptation au monachisme urbain et au tempérament féminin de l'expérience accumulée dans les centres monastiques d'Orient et d'Occident depuis deux siècles. Durant les premières années, les relations de la communauté de Sainte Radegonde avec l'Evêque de Poitiers étaient empreintes d'amour et de respect mutuel, mais elles se dégradèrent avec l'Evêque Marovée, qui avait pris ombrage de l'ascendant spirituel de la Sainte sur son diocèse. La tension arriva à un tel point que, lorsque Radegonde obtint de l'empereur Justin le don d'un fragment de la vraie Croix (568), l'Evêque, vexé de n'avoir pas été mêlé à l'entreprise, refusa de recevoir l'insigne relique et s'éclipsa. Déposée provisoirement au Monastère de Tours, la Sainte Croix put finalement faire son entrée à Poitiers, saluée par toute la population et par les moniales qui chantaient les hymnes composées à cette occasion par Saint Venance Fortunat, et elle fut déposée au Monastère qui prit dès lors le nom de Sainte-Croix. Ayant eu recours aux Evêques réunis à Tours en concile, Sainte Radegonde obtint pour son Monastère des privilèges qui le protégeait contre les interventions des autorités civiles et ecclésiastiques, sans toutefois remettre en question la juridiction canonique de l'Evêque du lieu.

Réunissant en elle "la gloire des Confesseurs et des Martyrs" la Sainte n'acceptait de faveur que celle d'être la première à servir les autres soeurs. Elle nettoyait leurs chaussures et les oignait d'huile quand elles dormaient; elle balayait les corridors, lavait et raccommodait le linge sale, se chargeait des immondices, attisait le feu, servait les malades, et quand elle regagnait sa cellule, tombant de fatigue, c'était pour continuer sa veille par la prière. Quand elle s'adressait à la fraternité, elle disait: « Je vous ai choisies pour mes filles, vous ma lumière, vous ma vie, vous mon repos et toute ma félicité, vous ma jeune plantation. Agissez avec moi en ce monde pour nous préparer la joie dans l'autre. Servons Dieu avec une foi entière et une entière charité, cherchons-le avec crainte, dans la simplicité de notre coeur, pour que nous puissions lui dire avec confiance: "Seigneur, donne-nous ce que tu nous as promis, car nous avons accompli ce que tu as ordonné" ». Sa charité s'étendait non seulement aux habitants de la cité mais aussi sur tout le royaume, et elle priait Dieu, avec force larmes, afin qu'il accorde la réconciliation des héritiers de Clotaire, "pour assurer le salut des peuples et de la patrie".

Ayant acquis avec abondance la grâce du Saint-Esprit, au prix de son Martyre volontaire, la Sainte Reine la répandait autour d'elle par de nombreux miracles. Elle rendait la vue aux aveugles, chassait les démons, et il suffisait de remettre aux malades des feuilles ou un cierge qu'elle avait bénis pour qu'ils recouvrent la santé. Elle obtint même par ses prières qu'une jeune moniale décédée revînt à la vie, de sorte qu'on pouvait la comparer à Saint Martin le grand thaumaturge.

Vénérée de son vivant comme Sainte par toute la Chrétienté franque, Radegonde, parvenue à la soixantaine, reçut du Christ une vision lui montrant la place qui lui était réservée au ciel, Elle s'endormit en paix, quelques jours après, le 13 août 587. En l'absence de l'Evêque Marovée, les funérailles furent présidées par Saint Grégoire, Evêque de Tours. Le visage de la Sainte, rayonnant de paix, éclipsait la beauté des lys et des roses. Et quand le cortège se dirigea vers le cimetière, les chants des Clercs se trouvèrent couverts par les sanglots des deux cents religieuses, qui se considéraient comme orphelines. Le culte de Sainte Radegonde, une des figures les plus lumineuses de la sainteté française, se répandit ensuite largement dans le reste de l'Europe.